Une jeunesse connectée entre espoir et incertitude
Née entre 1997 et 2012, la Génération Z est la première à avoir grandi dans un monde totalement numérique. Smartphones, réseaux sociaux et plateformes vidéo sont ses terrains naturels d’expression. Mais derrière l’image d’une jeunesse hyperconnectée se dessine un portrait plus complexe, celui d’une génération à la fois idéaliste et pragmatique, inquiète pour son avenir économique, mais porteuse de nouvelles formes d’engagement social et politique.
Une génération numérique mais pas homogène
On la surnomme « digital natives ». Contrairement aux Millennials, qui ont vu apparaître Internet à l’adolescence, la Génération Z n’a jamais connu un monde sans connexion. Cela lui confère des réflexes différents, capacité à jongler entre plusieurs sources d’information, aisance dans les codes numériques, usage quotidien de TikTok, Instagram ou Discord pour communiquer, apprendre et s’organiser.
Mais cette identité numérique ne suffit pas à définir Gen Z. Comme le rappellent les chercheurs, il s’agit d’une construction sociologique: la jeunesse née entre 1997 et 2012 est traversée par des clivages de classe sociale, de genre et de territoire. Loin d’être homogène, elle reflète les contrastes de nos sociétés.
Des priorités marquées par l’économie
Dans l’Union européenne, l’Eurobarometer 2024 montre que 40 % des jeunes citent le coût de la vie comme leur principale inquiétude, devant le climat (33 %) et l’emploi (31 %). En d’autres termes: même une génération sensibilisée au changement climatique place ses priorités dans la survie économique et le quotidien.
Au Maroc, le constat est similaire. Selon Afrobarometer 2025, 73 % des jeunes estiment que le pays va dans la bonne direction, mais 28 % déclarent avoir sérieusement envisagé l’émigration : un chiffre en hausse constante depuis 2017. La raison est claire : emploi rare, précarité accrue et difficultés d’accès au logement. Pour beaucoup, partir devient un horizon de sécurité.
Une vision politique en mutation
Les jeunes de la Génération Z se montrent méfiants à l’égard des institutions politiques classiques. En Europe, 64 % disent vouloir voter aux élections européennes, mais moins de la moitié font confiance aux partis. Au Maroc, la défiance est encore plus marquée: une partie de la jeunesse préfère s’organiser via les réseaux sociaux plutôt que par les canaux traditionnels.
Cette génération exprime ses revendications autrement : hashtags, campagnes virales, vidéos TikTok deviennent de nouveaux instruments de mobilisation. Lors des récentes protestations au Maroc, de nombreux collectifs ont utilisé Discord et TikTok pour coordonner les actions. C’est un langage politique inédit, horizontal, rapide et décentralisé.
Relations humaines et rapport à la hiérarchie
La Génération Z se distingue aussi par sa manière de concevoir les relations humaines. Nés dans un monde de communication instantanée, les jeunes valorisent les échanges horizontaux et les réseaux d’affinités plus que les structures hiérarchiques. Dans l’entreprise, cela se traduit par une relation redéfinie avec l’autorité: Gen Z accepte l’encadrement, mais refuse l’autoritarisme. Selon le Deloitte Global Survey 2025, les jeunes employés privilégient les environnements collaboratifs où les managers sont des mentors plus que des chefs. Ils attendent de leurs responsables de la transparence, du feedback régulier et des espaces de créativité.
Dans la vie sociale et familiale, la recherche d’authenticité domine : Gen Z veut des relations franches, égalitaires, ouvertes. En Europe, les données du World Values Survey montrent une progression de la tolérance envers les différences (genre, orientation sexuelle, modes de vie). Au Maroc, la famille reste un repère structurant, mais les jeunes construisent aussi des communautés en ligne qui deviennent parfois aussi importantes que les cercles traditionnels.
Cette ouverture s’accompagne d’une fragilité relationnelle: hyperconnectés mais souvent isolés, les jeunes cherchent une validation sociale à travers likes et partages. Les rapports de l’OMS et de l’UNICEF soulignent que les adolescents et jeunes adultes expriment aujourd’hui des niveaux d’anxiété sociale et de stress relationnel plus élevés que les générations précédentes. Ainsi, Gen Z ne rejette pas la hiérarchie, mais la transforme: elle privilégie des liens basés sur la confiance, le dialogue et l’égalité, que ce soit dans le travail, la famille ou la politique.
Mariage, famille et libertés individuelles
La famille demeure un repère essentiel pour la Génération Z, au Maroc comme ailleurs. Mais les formes qu’elle prend évoluent. Dans les pays européens, les enquêtes World Values Survey montrent que les jeunes sont plus ouverts que leurs aînés aux familles recomposées, à la cohabitation avant le mariage et à l’égalité de genre au sein du couple. Le mariage n’est plus perçu comme une obligation, mais comme un choix parmi d’autres formes de vie commune.
Au Maroc et dans d’autres pays du MENA, la famille conserve un rôle central et symbolique. La majorité des jeunes restent attachés au mariage, mais de plus en plus tardif : les difficultés économiques (emploi, logement) repoussent l’âge de l’union. Les enquêtes Arab Barometer indiquent que si les jeunes revendiquent davantage de libertés individuelles, ils continuent de voir la famille comme un pilier incontournable, parfois même comme une protection face aux incertitudes sociales. En parallèle, les aspirations à plus de libertés individuelles se renforcent, surtout dans les grandes villes. Choix du partenaire, autonomie financière, liberté de circulation et liberté vestimentaire apparaissent comme des revendications fortes chez les 18–29 ans.
La liberté d’expression, quant à elle, est une valeur clé pour Gen Z. En Europe, elle figure parmi les droits les plus importants cités par les jeunes. Au Maroc, beaucoup considèrent encore que la parole est limitée dans l’espace public, mais les réseaux sociaux sont devenus un espace privilégié pour contourner les barrières. TikTok, Instagram et Twitter offrent à cette génération une tribune où l’humour, la créativité et la contestation cohabitent.
Rapport au travail : entre nécessité et quête de sens
Contrairement aux clichés, la Génération Z veut bel et bien travailler. Mais elle souhaite le faire autrement.
Selon le Deloitte Global Gen Z & Millennial Survey 2025, les jeunes placent en tête de leurs priorités professionnelles :
- La sécurité financière (près de la moitié se disent en insécurité économique),
- Le sens au travail,
- L’équilibre vie pro / vie perso,
- Des conditions compatibles avec leur santé mentale.
Ils n’acceptent plus un emploi « à n’importe quel prix » : beaucoup aspirent à l’autonomie (freelance, entrepreneuriat, side-business). Mais face au chômage, la majorité se tourne vers le salariat, parfois dans des postes en dessous de leurs qualifications.
Au Maroc, 70 % des jeunes considèrent le manque d’emplois comme le problème prioritaire (Afrobarometer 2025). L’émigration est envisagée par près d’un tiers comme une solution pour trouver un travail stable et mieux rémunéré. Comparée aux générations précédentes, Gen Z se démarque :
- Contrairement aux Boomers ou à la Génération X, pour qui le travail était une identité sociale, Gen Z l’envisage comme un moyen (gagner sa vie, financer ses projets) et non une fin en soi.
- Par rapport aux Millennials, Gen Z est encore plus sensible à la santé mentale : elle refuse le burn-out et privilégie la flexibilité.
En résumé, Gen Z veut travailler, mais à condition que le travail ait du sens, respecte l’équilibre de vie et permette un avenir digne.
L’avenir entre climat et emploi
Le climat demeure une préoccupation de fond. Les jeunes Européens placent la transition écologique parmi leurs priorités, même si l’inflation pousse beaucoup à reclasser leurs urgences. Au Maroc, les questions environnementales mobilisent davantage les jeunes urbains et scolarisés, mais l’emploi et le coût de la vie dominent le débat. La Génération Z se définit donc par cette tension permanente: conscience des enjeux globaux (écologie, égalité, numérique), mais ancrage dans des réalités locales (emploi, logement, émigration).
Une génération durable?
Gen Z incarne les contradictions de notre époque. Optimiste sur le long terme, mais inquiète à court terme. Attachée à ses racines, mais tentée par l’émigration. Méfiante envers les institutions, mais innovante dans ses modes d’action.
Pour le Maroc, cette jeunesse est à la fois un défi et une opportunité. Défi, car l’emploi et l’inclusion sociale restent à construire. Opportunité, car l’énergie, la créativité et l’agilité numérique de cette génération pourraient devenir un moteur pour inventer un futur durable, à la fois social, économique et écologique.
Sources
- Pew Research Center (2019, 2023) – Defining generations
- Eurobarometer Youth Survey 2024 – European Parliament
- World Values Survey (2017–2022) – Valeurs, famille, religion, démocratie
- OCDE (2024), Survey on Drivers of Trust
- Deloitte Global Gen Z & Millennial Survey 2025
- OIT – Global Employment Trends for Youth 2024
- Arab Barometer (2018–2023) – Religion, politique, libertés
- Afrobarometer Dispatch AD1004 (Maroc, 2025)
- OMS & UNICEF (2021–2023) – Santé mentale des adolescents
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