Environnement

Incendies dans le Rif : quand la crise climatique embrase la biodiversité marocaine

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**Dans la nuit du 12 au 13 août 2025, deux incendies ont frappé la forêt de Derdara près de Chefchaouen et la commune de Benqarich, dans la province de Tétouan. Jusqu’à présent, aucune information officielle n’a été communiquée sur la superficie ravagée par les flammes. Au-delà du drame écologique et humain, ces feux rappellent que la prévention et la gestion des catastrophes ne relèvent pas uniquement des autorités publiques. Elles appellent aussi à une mobilisation des entreprises et acteurs économiques dans le cadre d’une véritable approche de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), où la protection de l’environnement, le soutien aux communautés locales et la bonne gouvernance deviennent des priorités partagées.** Face à cette urgence, l’état d’alerte maximale a été déclenché dès les premiers signaux. Les opérations ont mobilisé des avions Canadair, intervenant sur les zones inaccessibles au sol, ainsi que des équipes de pompiers, des agents des Eaux et Forêts et de nombreux volontaires. Cette mobilisation s’inscrit dans une stratégie renforcée, appuyée par un investissement de 17 millions USD engagé dès mai 2025 pour améliorer les capacités de prévention et d’intervention. Selon la Direction de la Météorologie nationale, une sécheresse prolongée combinée à des températures extrêmes atteignant 46 °C a créé un environnement particulièrement propice aux incendies. Si l’origine exacte n’a pas encore été confirmée, il est établi que la majorité des feux de forêt au Maroc sont liés à des causes humaines, qu’elles soient accidentelles ou intentionnelles. Dans le cas présent, la canicule intense, le vent de type chergui chaud, sec et violent, ainsi que le relief accidenté du Rif ont favorisé une propagation rapide des flammes. La densité et la sécheresse de la végétation ont amplifié le risque, et les provinces de Chefchaouen, Taza et Taounate, déjà placées en alerte maximale depuis la mi-juillet en raison des conditions météorologiques et de leur vulnérabilité historique, figuraient parmi les zones les plus exposées. **Zones à risque élevé au Maroc** D’après l’Agence Nationale des Eaux et Forêts (ANEF), Chefchaouen, Taounate et Taza figurent parmi les zones à risque extrême d’incendies de forêt. Tétouan, Al Hoceïma, Agadir-Ida-Ou-Tanane et Larache présentent un risque élevé, tandis qu’Ifrane, Nador et Rabat sont classées en risque moyen. Plusieurs facteurs expliquent cette vulnérabilité : • Un climat méditerranéen marqué par des étés chauds et secs favorisant le déclenchement et la propagation du feu ; • Des reliefs montagneux abrupts et difficiles d’accès, notamment dans le Rif et le Moyen Atlas, qui accélèrent la progression des flammes et compliquent l’intervention ; • Une végétation dense et hautement inflammable dans les zones forestières et agro-pastorales (territoires mêlant cultures agricoles et pâturages pour l’élevage) ; • Enfin, une forte interaction entre activités humaines et environnement, où brûlages agricoles et imprudences augmentent le danger. **Des impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance majeurs** L'ANEF souligne qu’au plan environnemental, la perte de biodiversité est majeure, avec la destruction d’habitats uniques du Rif. Les émissions massives de CO2 aggravent le changement climatique, tandis que la disparition de la couverture végétale fragilise les sols, accentuant les risques d’érosion et de désertification. Sur le plan sociétal, les communautés locales subissent de lourdes conséquences : pertes agricoles, dommages aux habitations et perturbation des activités économiques. Les fumées, nocives pour les personnes vulnérables, représentent par ailleurs une menace sérieuse pour la santé publique. Sur le volet gouvernance, cet épisode illustre la nécessité d’une gestion rigoureuse des risques et d’une coordination efficace entre autorités, ONG et citoyens afin de garantir une intervention rapide et adaptée. **Des enjeux liés aux Objectifs de Développement Durable (ODD)** Cet épisode s’inscrit pleinement dans le champ des enjeux mondiaux du développement durable. Plusieurs ODD des Nations unies sont directement concernés : • ODD 13 – Lutte contre les changements climatiques : les émissions massives de CO2 issues de la combustion et la perte de puits de carbone aggravent le réchauffement global. • ODD 15 – Vie terrestre : la destruction d’habitats naturels uniques du Rif met en péril des espèces endémiques et fragilise les écosystèmes locaux. • ODD 11 – Villes et communautés durables : les dégâts subis par les infrastructures, l’économie locale et les moyens de subsistance interrogent sur la résilience des territoires face aux catastrophes. • ODD 3 – Bonne santé et bien-être : l’exposition prolongée aux fumées, notamment pour les personnes vulnérables, constitue une menace sanitaire immédiate et durable. **Des actions préventives envisagées** Lors d’un atelier organisé par la FAO en février 2025 à Rabat, le Maroc a présenté une stratégie de gestion intégrée des feux (Integrated Fire Management – IFM). Celle-ci combine prévention, alerte, lutte et restauration post-incendie, inscrite dans la feuille de route régionale NENFIRE 2024-2029. Parmi les mesures prioritaires : interdiction des feux en plein air, sensibilisation du public, et utilisation de la cartographie des zones à risque grâce à l’intelligence artificielle et à l’imagerie satellite. **Technologies prédictives et innovation** Le pays mise sur des outils innovants comme l’imagerie satellite (Copernicus, NASA MODIS & VIIRS), les modèles de prévision basés sur l’IA, et les drones pour détecter rapidement les départs de feu, notamment dans les zones montagneuses difficiles d’accès. Des applications mobiles et alertes SMS permettent d’informer et de mobiliser les habitants. Ces technologies contribuent à réduire les pertes humaines et matérielles tout en optimisant les ressources. **Sensibilisation communautaire** La formation de brigades citoyennes, des campagnes éducatives dans les écoles rurales et la sensibilisation des agriculteurs sur les pratiques à risque figurent parmi les initiatives déjà mises en œuvre. Les partenariats public-privé jouent aussi un rôle clé, les entreprises finançant des journées de prévention ou des ateliers pédagogiques. **Mécanismes de financement** Le financement repose sur un budget public renforcé (17 M USD en 2025), l’accès aux fonds verts internationaux, le mécénat d’entreprise et des assurances paramétriques basées sur des indices climatiques. Ces ressources visent à sécuriser durablement les moyens de lutte et de prévention. **Approche RSE : un rôle partagé** L’État et les collectivités doivent assurer la prévention et l’aménagement de pare-feux ; les entreprises peuvent s’engager via le mécénat, la réduction des pratiques à risque et le volontariat ; la société civile, quant à elle, peut contribuer par la vigilance communautaire et l’éducation environnementale. Cette coopération renforce à la fois la protection de l’environnement, la cohésion sociale et la gouvernance. **Un signal d’alarme que le Maroc ne peut ignorer** Les incendies qui ont ravagé le Rif ne relèvent pas d’un incident isolé, mais d’un avertissement clair, le pays entre dans une ère où sécheresses extrêmes, vagues de chaleur records et pressions humaines convergent pour menacer durablement ses écosystèmes. Si rien n’est fait, la fréquence et la gravité de ces catastrophes ne feront qu’augmenter, avec des conséquences irréversibles sur la biodiversité, l’économie rurale et la santé publique. La réponse doit être à la hauteur du défi : une mobilisation immédiate et coordonnée de l’État, des entreprises et de la société civile, appuyée par des moyens financiers et technologiques, pour bâtir une véritable résilience climatique. Protéger la forêt aujourd’hui, c’est préserver le poumon vert du Maroc pour demain.

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