Gouvernance durable

Analyse de contenu de l’interview du Chef du gouvernement (8/8) : Budget 2026, dette et Mondial 2030. Clôture du dossier

Ce huitième et dernier volet conclut notre dossier d’analyse de contenu de l’interview du Chef du gouvernement (10 septembre 2025, Al Aoula & 2M). Ce dernier chapitre aborde deux axes restants de l’entretien : le projet de budget 2026 et la question de la dette, d’une part, et la perspective du Mondial 2030, d’autre part. Il se clôt par une synthèse communicationnelle de l’ensemble de l’interview.

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Analyse de contenu de l’interview du Chef du gouvernement (8/8) : Budget 2026, dette et Mondial 2030. Clôture du dossier
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Ce huitième et dernier volet conclut notre dossier d’analyse de contenu de l’interview du Chef du gouvernement (10 septembre 2025, Al Aoula & 2M). Les sept articles précédents ont couvert, dans l’ordre, les thèmes suivants : éducation et rentrée scolaire, soutien social (cartables/allocations), football/Mondial et cohésion de la majorité, gestion de l’eau et dessalement, agriculture, protection sociale (AMO) et hôpitaux, inflation et emploi, reconstruction post-séisme d’Al Haouz et cheptel/prix de la viande, enfin réforme des retraites et dialogue social.

Ce dernier chapitre aborde deux axes restants de l’entretien : le projet de budget 2026 et la question de la dette, d’une part, et la perspective du Mondial 2030, d’autre part. Il se clôt par une synthèse communicationnelle de l’ensemble de l’interview : mise en chiffres, zones d’ombre qualitatives, cadrage institutionnel, et, prémices d’une préparation électorale.

Axe : Budget 2026, dette et Mondial 2030

Ce qui est dit : Le Chef du gouvernement a présenté le budget 2026 comme un instrument de continuité, annonçant une mobilisation d’investissements publics et privés pour préparer le Maroc aux grands rendez-vous, notamment l’organisation de la Coupe du monde 2030. Il a affirmé que la dette restait sous contrôle et que la trajectoire financière permettrait de poursuivre les projets structurants sans mettre en péril l’équilibre macroéconomique.

Ce qui manque : Aucune précision n’a été donnée sur la ventilation budgétaire : quelles parts seront dédiées à l’éducation, à la santé, à la lutte contre les inégalités territoriales ? La question de la soutenabilité de la dette est éludée, alors que le Maroc fait face à une augmentation des charges (subventions sociales, investissements sportifs et infrastructures). L’impact réel du Mondial 2030 sur l’économie nationale (emplois, tourisme, infrastructures) reste présenté comme une évidence, sans étude ou projection transparente partagée avec le public.

Analyse de contenu : Le discours s’appuie sur un registre d’optimisme et de maîtrise : rassurer sur la dette, valoriser l’opportunité du Mondial comme projet fédérateur. Mais cette rhétorique repose sur des promesses plus que sur des démonstrations. Pour les citoyens, en particulier les plus vulnérables, la question demeure : pourquoi investir massivement dans un événement international quand l’accès quotidien à l’école, à l’hôpital ou à l’eau reste problématique ? En communication, le risque est de produire un effet d’éléphant blanc : infrastructures spectaculaires mais déconnectées des besoins immédiats.

Conclusion critique de l’interview du Chef du Gouvernement

L’interview du 10 septembre 2025, diffusée simultanément sur Al Aoula et 2M et d’une durée de plus d’une heure, illustre une stratégie communicationnelle fondée sur l’auto-légitimation par les chiffres : « millions », « pourcentages », « records », annonces de production ou de relogement. Cette accumulation quantitative, qui s’inscrit dans une logique de légitimation par la donnée statistique, produit un effet d’efficacité et de maîtrise. Elle permet au Chef du gouvernement d’afficher un bilan chiffré (emplois créés, aides distribuées, infrastructures planifiées), mais laisse dans l’ombre les indicateurs qualitatifs : qualité des apprentissages scolaires, accessibilité et état des infrastructures hospitalières, réduction des inégalités territoriales, confiance citoyenne et transparence budgétaire.

Le format médiatique, marqué par la diffusion sur les chaînes publiques et probablement enregistré à l’avance, a contribué à une fluidité apparente et à une préparation visible des réponses. Les deux journalistes ont posé des questions d’intensité variable, certaines plus insistantes, d’autres convenues, sans pour autant instaurer une véritable conflictualité. Cette configuration confirme la nature institutionnelle de l’entretien : davantage un espace de mise en valeur gouvernementale qu’un débat contradictoire.

Sur le plan du discours, plusieurs éléments méritent d’être relevés. Le Chef du gouvernement a multiplié les références aux « orientations royales », renforçant la légitimité institutionnelle de son propos mais diluant, ce faisant, la responsabilité propre de l’exécutif. Son expression verbale a parfois été marquée par des tics de langage (« hada », « dakchi ») et des phrases inachevées, signes d’hésitation ou de remplissage qui affaiblissent la rigueur argumentative. En revanche, la communication non-verbale a constitué une rupture : souriant, détendu, accessible, il a adopté une posture de proximité, contrastant avec la réserve observée lors des premières années du mandat. Cette mise en scène peut être interprétée, au conditionnel, comme une stratégie électorale visant à apparaître rassurant et proche des citoyens à l’approche des législatives.

Les sciences de la communication offrent un éclairage utile sur cette mise en scène. Goffman (1973) a montré que l’homme politique, à l’instar de tout acteur social, construit un rôle calibré mais qui doit paraître naturel. Champagne (1984) et Wolton (1990) ont souligné que la télévision constitue un dispositif de légitimation où la parole politique repose à la fois sur des chiffres et sur des gestes, sur la rationalité affichée et sur l’affect projeté. L’interview du 10 septembre 2025 s’inscrit pleinement dans ce double registre.

Enfin, la réception citoyenne met en évidence le décalage entre la communication officielle et l’expérience vécue. Les témoignages recueillis (un étudiant, une commerçante, un retraité)convergent : l’entretien leur est apparu « vide », centré sur l’autocélébration, et trop éloigné des préoccupations quotidiennes que sont la cherté de la vie, l’emploi, la santé publique ou le logement.

En définitive, ce dossier révèle une tension structurelle dans la communication gouvernementale : en privilégiant l’action visible et chiffrée, sans reconnaître explicitement les failles structurelles ni ouvrir un espace de contradiction réelle, l’exécutif prend le risque de transformer l’entretien en exercice de légitimation électorale plus qu’en moment de dialogue démocratique.

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